Les dessous
de la restauration de l'avion 3, au Musée de l'Air, (1978-1990)
Par
le Général Pierre LISSARRAGUE
Parmi toutes les restaurations qui ont
été faites au Musée de l'air depuis une
vingtaine d'années celle qui aura exigé le plus
de temps pour aboutir - douze années - est, de loin, celle
de l'Avion 3 d'Ader.
Beaucoup de bonnes raisons
peuvent expliquer un délai aussi inhabituel, à
commencer par le fait que cette tâche est venue s'ajouter
à toutes les opérations prioritaires qu'impliquait
la remise en état des collections du musée pour
leur exposition dans les nouvelles installations du Bourget.
C'est aussi la complexité de la construction de cet appareil
dont la technologie peu classique déroutait les experts
en aviation ; sans même parler de celle du moteur à
vapeur, assez peu répandu sur nos terrains. Ajoutons-y
le manque de tout plan ou de notice de fonctionnement dont l'existence
aurait pu nous être d'un grand secours.
Cependant, une autre cause,
rarement aperçue, semble bien résulter de l'évolution
de l'attitude des restaurateurs eux-mêmes vis-à-vis
des conceptions d'Ader ; à commencer par l'auteur de cet
article, qui a accepté l'entière responsabilité
de cette restauration dès l'origine.
Comme ce papier se propose
essentiellement de montrer comment a été vécue
cette aventure par ceux qui en ont été chargés,
et qu'il ne cache pas les erreurs commises, notre lecteur voudra
bien permettre à celui qui tient ici la plume de s'exprimer
à la première personne, contrairement à
l'usage établi : ainsi pourra-t-il clairement assumer
sa propre responsabilité et dégager celle des autres
personnes qui ont eu à travailler sous sa direction.
Un exemple typique
de la complexité de la structure : l'articulation du "coude",
permettant de replier le "bras" et"l'avant-bras",
ces deux membrures constituant le longeron principal de l'aile.
Le "bras", à droite, se termine par une "boule";
sur celle-ci s'appuie, du côté gauche,"l'avant-bras"
dont l'extrémité creuse vient s'emboîter
sur la "boule". Des câbles, en haut et en bas,
empêchent les pièces de se déboîter.
Au sommet de la "boule", une pièce rapportée,
qui n'est pas d'Ader : il s'agit d'un tire-fond à tête
carrée, vissé dans l'axe de la "boule"
; il servait à tenir l'aile, attachée par un câble
à la voûte de la chapelle.
LE POINT DE DÉPART
L'année 1977 avait été
chargée.
Peu avant l'ouverture du 32ème Salon du Bourget, le ministre
de la Défense, M. Yvon Bourges inaugurait, le 10 mai,
le hall A. Deux jours après, M. Jean Martre, alors Délégué,
Général pour l'Armement, ouvrait à son tour,
à Meudon, l'exposition du Centenaire de la recherche aéronautique
en France.
Et le 3 juin, le Musée de
l'Air était envahi par les visiteurs du Salon.
Enfin, plus discrètement, le 25 juin, venant de Toul,
le commandant de la 11ème Escadre, le colonel Richelot,
à bord de son jaguar biplace, accompagnait pour son dernier
vol le F 100 livré au musée par le capitaine Zurlinden.
J'étais loin de penser qu'au
milieu de tous les projets déjà bien avancés
pour la suite devait se glisser un intrus...
Tout a commencé à
l'approche de Noël 1977. Le 22 décembre, je recevais
un appel à l'aide de M. Soulard, conservateur du Musée
des Techniques du Conservatoire des Arts et Métiers :
on venait de retrouver en Suède un fuselage assez complet
d'un Breguet militaire type 1912. Une
équipe de Suédois se proposait de reconstruire
les parties manquantes de cet appareil et de restaurer ainsi,
pour le musée de leur armée de l'air, le seul survivant
de la première escadrille de l'aviation militaire de leur
pays. Seul problème : le manque de plans et de précisions
techniques. Par chance, le CNAM conservait le Breguet de Brégi,
type 1911 d'où était issu la série des machines
livrées à la Suède.
M. Soulard, ne disposant d'aucune
documentation aéronautique appropriée, ni de spécialiste
d'aviation, me demandait de l'aider. Cela était flatteur
pour le Musée de l'Air, et pouvait être mis à
profit pour le faire connaître à l'étranger,
à condition de se montrer utile. je répondais donc
immédiatement, et le jour même je me rendais au
CNAM pour voir le Breguet de Brégi
( Pour une description et un article se rapportant à cet
appareil et à l'exploit de Brégi, se rapporter
à Pégase, n° 13, paru en 1979) et faire le
point avec M. Soulard.
L'avion était dans un état
lamentable : le longeron du plan fixe, du côté droit,
était cassé à son emplanture et pendait
verticalement, retenu par la seule toile de recouvrement; l'entoilage
de l'aile, vieilli et soumis aux variations de température
et d'humidité, était déchiré en multiples
endroits et couvert de "rustines" ; les parties métalliques
étaient très oxydées ; et le tout était
recouvert d'une épaisse couche de poussière.
Qu'allaient penser
les Suédois de notre peu de respect pour cet avion historique
et totalement authentique ? Le conservateur, démuni de
tout moyen de corriger la situation attendait beaucoup du Musée
de l'Air. Mais, à l'époque, il était impossible
à ce dernier de prendre en charge la nécessaire
restauration de l'appareil.
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