LA LIBERATI0N DE TOULON VÉCUE PAR UN AVIATEUR.
Extraits des
souvenirs du Capitaine LASNIER-LACHAISELe débarquement en
Provence le 15-08-1944
Le 18 août 1944.
La
mission a été très dure pour les Marauders, basés en Sardaigne. Un
avion du Groupe Franche-Comté n'est pas rentré.
L'aviation qui aide au
débarquement sur la côte méditerranéenne française, en réduisant au
silence les batteries côtières qui défendent Toulon se heurte à une
D.C.A. intense et précise...
Le soir arrivent les ordres de chargement pour
la mission du lendemain:
4 bombes de 1 000 livres semi-perforantes.
Il s'agit encore d'un objectif bétonné, sans
doute le même que celui d'aujourd'hui, car les résultats du
bombardement auraient, paraît-il, été médiocres.
Le 19
août 1944.
La 2ème Escadrille du Groupe
Franche-Comté doit fournir le 3ème Flight
(6 avions) de l'expédition qui engagera 18 Marauders.
Briefing à 7 h 30, c'est bien le même objectif
que la veille : Les batteries côtières de Saint-Mandrier.
Le Colonel, Commandant la 34ème Escadre,
prendra place à bord du 77, avion leader du 3ème Flight, comme passager.
A Villacidro, il fait beau.
Le Marauder argenté brille au soleil, il porte
sur le nez 6 petites bombes peintes, bientôt il ronronne qu'il en aura
7 ce soir, à 9 h 40, il décolle...
La Corse est dépassée.
L'équipage prend ses places de combat et
s'équipe : casque, gilet blindé anti-flak, gilet de sauvetage gonflable
"Mae West", parachute.
Pas un nuage dans le ciel, plein soleil.
La côte de France se dessine et est abordée aux
environs de la presqu'île de Giens.
Virage à gauche et cap sur Toulon.
L'objectif se rapproche.
Des flocons noirs apparaissent devant les premiers avions, La Flak !
La course de bombardement est commencée, plus
rien ne bouge...
Le tir de la D.C.A. se fait plus intense et plus précis.
Une gerbe d'éclats vient frapper l'avant du 77,
sursaut de l'avion, fumée, "Ce n'est rien… ça passera" dit le pilote.
A ce
moment précis, qui est l'instant ou le bombardier largue ses bombes, le
Colonel vient annoncer au co-pilote que l'avion brûle!
L'incendie s'est déclaré dans la soute à
bombes, un obus ayant traversé le poste radio et pénétré dans le
système de transfert d'essence.
Une bombe est restée accrochée et l'avion risque
d'exploser !
Dégagement à gauche, train sorti…
Les trois mitrailleurs sautent, puis le
bombardier, le Colonel, le co-pilote.
Je réduis
la vitesse, je coupe les moteurs, et je saute quelques secondes plus
tard.
Le 77 déserté fait un demi-tour à droite, et
face aux côtes de France, explose, 20 secondes après… 7ème et dernière
mission.
Il est 11 h 45.
Après le
ciel, la mer...
Après le vol, la nage...
Chacun s'efforce de regagner la côte en
comptant sur le gilet de sauvetage, qui répond à cette confiance.
La durée du séjour dans l'eau varie entre 1 h
30 et 2 h 30, sauf pour le mitrailleur arrière qui, ne sachant pas
nager barbote comme un chien pendant 5 heures.
La côte d'azur est là, mais non pas les joies
de la mer et de la plage.
Chacun est accueilli à terre par des touristes
indésirables, armés jusqu'aux dents et parlant allemand.
Je suis recueilli quant à moi, par deux hommes
dans un bateau, venus sur les lieux de chute de l'avion pour chercher
les débris intéressants.
Il me faut ensuite grimper la
falaise du Cap Sicie, en plein soleil, après deux heures et demie de
natation.
L'aviation est un sport complet, air, mer, terre...
Finalement je suis enfermé dans une petite
église, Notre Dame de Bonne Garde, transformée en P.C. de D.C.A. mais
ce n'est pas hélas, Notre Dame qui semble nous prendre sous sa bonne garde, pour le
moment.
Dans la soirée, je rejoins cinq membres de
l'équipage réunis. Six sur sept, nous voilà tout de même heureux de
nous revoir sains et saufs.
Et c'est le premier repas allemand: pain noir,
crème de gruyère, confiture et breuvage noirâtre appelé : "Thé".
Trois Officiers dans une baraque, trois
Sous-Officiers dans une autre et c'est la nuit.
La nuit sans grand sommeil, après cette journée
riche d'émotions et de fatigue et avant quoi ?
Le camp de prisonniers en Allemagne ?
Le 20
août 1944.
Matin chaud et lumineux. L'attaque de Toulon
continue:
P 47 et Spitfire.
L'attitude des soldats allemands que nous
voyons ne nous permet pas d'espérer que Toulon soit encerclée, que nous
ne pourrons pas être évacués, que nous échapperons au "Stalag".
L'après-midi, on nous fait monter dans un
camion, nous traversons la Seyne et une partie de Toulon.
Tout est en ruine, désert, pénible premier
contact avec une ville Française.
A la sortie de Toulon, nous voyons des civils
français réfugiés dans la campagne.
Une route en lacet, nous conduit dans un fort
(Gardanne) dominant la ville, où nous sommes fouillés.
B.26 et B.25 continuent à bombarder Toulon, au
milieu une D.C.A. intense qui fait mouche plusieurs fois.
De
nouveaux prisonniers américains, aviateurs et fantassins arrivent.
Vers 19 h 00, des soldats allemands armés
jusqu'aux dents, revêtus de tenues de camouflage, font irruption.
Après force discussions et gesticulations nous
sortons du fort.
Dans la cour, nous retrouvons le Capitaine
Baudoin, l'équipage est complet. Au nombre d'une quinzaine de
prisonniers, nous sommes entraînés vers Toulon, par la route en lacets.
Cinq cents mètres après le départ les F F I
attaquent nos escorteurs.
A plat ventre dans les bas-côtés de la route,
nous écoutons siffler les balles. Allons-nous être délivrés ?
Hélas, après un quart d'heure de fusillade,
nous reprenons la route. Des civils trop curieux échappent aux balles
de nos chiens de garde. Nous longeons la voie ferrée. Allons-nous être
évacués ?
Nous entrons dans un fort. La nuit tombe.
Arrivés dans les fossés du fort, les Allemands
nous font aligner le long du mur...
Moment le plus angoissant de l'aventure, les
fossés, la nuit tombante, notre fatigue.
Nous pensons que c'est fini. "On va passer à la casserole !" dit le
sergent-chef.
La peur nous serre aux entrailles. La nuit est
complète.
Une demi-heure angoissante passe.
Un Officier allemand s'avance et, dans un
français très pur, s'excuse de ne pouvoir nous loger confortablement
pour cette nuit. Un grand soupir de soulagement nous échappe.
Nous changeons nos gardiens hargneux contre
d'autres moins inquiétants.
Dans une petite pièce, on nous sert, du pain,
de la confiture et le breuvage noirâtre.
Nous nous installons pour essayer de dormir.
Le 21
août 1944.
Dans la matinée de nouveaux prisonniers
arrivent, ce sont des Français de l'armée de terre qui nous apprennent
que Toulon doit être à l'heure actuelle, complètement encerclée et que
notre attaque est imminente.
Nous pouvons d'ailleurs observer que l'aviation
alliée n'intervient plus. L'espoir d'une libération rapide naît en nous.
Le lieutenant allemand vient souvent nous voir
et discute très aimablement avec le Colonel.
Nous nous installons dans une nouvelle salle du
fort, claire, à fenêtres grillagées et jouons aux cartes.
Après le dîner, des paquets de cigarettes nous
sont offerts .
Dans la nuit, nous sommes réveillés par de
violentes détonations. Nous sommes menés dans les abris du fort.
Alerte d'une heure ou deux. De nouveaux
prisonniers arrivent, soldats Alliés et deux civils, des F F I.
Le sort
de ceux-ci est clair, ils doivent être fusillés.
Le colonel Bouvard entreprend alors d'obtenir
qu'ils ne le soient pas, il discute, il menace même de représailles
quand le fort sera pris !
Le 22
août 1944.
Les civils s'attendent à être fusillés d'un
instant à l'autre. Le lieutenant allemand entre. Mais c'est pour
annoncer au Colonel que les deux F F I sont libérés !
Le Colonel a eu gain de cause et ce premier
succès nous remplit d'espoir.
Les Allemands font sauter le port de Toulon; évacuation.
Nos gardiens sont de plus en plus courtois et
nous offrent des cigarettes par cartouches; reddition ?
Dans le courant de l'après-midi, nous
retournons dans les souterrains de la nuit précédente. La soirée débute
lugubrement, nous sommes 25 entassés.
Les Américains entament quelques chansons:
"Alouette, gentille alouette..." Et nous essayons de dormir.
Le 23
août 1944.
Dans
la matinée, l'artillerie française commence à pilonner notre fort, "du
155" disent les artilleurs.
Le temps est long, le danger est proche. Mais
un soldat allemand nous lave notre vaisselle. Et une infirmière
allemande âgée, prend soin de nous et cela nous aide.
Nouvelle journée pénible et morne. Nouveau soir
et nouvelle invitation à changer de place. Par des boyaux interminables
encombrés d'allemands armés, nous arrivons près de l'infirmerie, dans
des galeries très profondément creusées dans le roc.
Le lieutenant Allemand ne nous quitte plus.
Nous sommes entassés, une épaisse fumée flotte, l'atmosphère est
irrespirable. La nuit tombe.
C'est alors que le Lieutenant allemand demande
au Colonel Buvard, et à l'Officier Américain le plus ancien de le
suivre. Une demi-heure passe, intolérable, tant nous sommes pleins
d'espoir et d'impatience.
L'Officier américain revient seul,et dit à ses
camarades "yod are free"
Les Allemands comprennent aussi bien que nous,
ils se dépouillent eux-mêmes, sortent, se rassemblent sans résistance,
pendant que nous nous armons.
Le Colonel Buvard revient alors, nous confirmer
la bonne nouvelle et prend la direction des opérations.
Au nombre de 400, beaucoup plus nombreux que
nous, les Allemands se constituent prisonniers, à leurs anciens
prisonniers !
Ils lèvent les bras en l'air et nous les
conduisons hors du fort.
A la
sortie, les agents de police français nous tombent dans les bras, de
stupéfaction et de joie. Deux civils et une femme sont avec eux.
Et nous tombons à notre tour dans les bras de
la première femme française rencontrée sur la terre de France.
En décor à notre joie, Toulon, hélas brûle dans
la nuit.
Nous remettons les prisonniers à ces "Forces"
françaises et nous rentrons occuper le fort déserté. Le Colonel Buvard
nous explique alors comment il a obtenu la reddition du fort.
Les Allemands ont été sommés de capituler par
un Commandant de l'Armée d'Afrique, sous peine d'attaque immédiate par
l'artillerie.
Le Colonel Buvard s'est alors avancé vers le
commandant stupéfait de voir venir à lui, un aviateur français lui
déclarant, qu'il avait obtenu la reddition du fort de l'officier
allemand et qu'il se chargeait de sa garde et de celle des prisonniers.
Le Commandant s'est alors retiré, promettant
d'envoyer le lendemain,des hommes pour occuper le fort et nous relever.
La nuit
s'est passée à rassembler le matériel et les armes intéressants que le
fort contenait, à boire quelques bonnes bouteilles, à dormir enfin.
Première nuit joyeuse, heureuse, calmante
depuis fort longtemps, nous semble t-il.
Au matin nous sommes relevés, comme prévu.
C'est alors la minute qui nous paye de tous nos efforts et nos peines:
la cérémonie émouvante des couleurs françaises, hissées sur le fort,
devant les soldats de l'armée d'Afrique, les F F I et nous mêmes,
réunis.
Puis tous, nous partons pour la ville, où la
joie que nous éprouvons à retrouver des Français, de France libérés,
trouve un bel écho dans la joie des Toulonnais à retrouver les premiers
soldats Français libérateurs.
Cette joie cependant ne sera pas tout à fait
complète.
Le soir même, en effet, après avoir parcouru
les rues et les quais, nous nous mettons à la recherche du "Moulin
Rouge" où les deux F F I, sauvés par le Colonel Buvard, nous avaient
invités à les rejoindre, et à fêter leur libération et la nôtre.
Nous arrivons enfin devant cet établissement.
Tout est clos, le Colonel Buvard frappe.
Après quelques minutes d'attente, un volet
s'ouvre. " Ah, c'est vous Messieurs les aviateurs !".
Une femme terriblement maquillée nous ouvre.
"Je viens de la part de Michel"
"Michel il a été tué hier !"
"Et Loulou ?"
"Loulou a été tué aussi !" (Devant notre
silence, la femme reprend:) "C'est vous qui étiez là-haut et les avez
sauvés ?"
"Oui !"
"Eh bien Messieurs, entrez, je suis au courant,
les deux bouteilles sont à rafraîchir !"
Ainsi se termine en son 7ème jour,
l'aventure des 7 de la 7ème mission du Marauder 77…