La mission
confiée aux pilotes français était dune
grande complexité. Depuis onze mois, époque du
premier raid aérien français, les défenses
de Ouadi-Doum avaient été notablement renforcées.
La piste avait été refaite et les défenses
anti-aériennes- fortes de cinq sites de missiles SA-6,
de huit postes de canons quadritubes à guidage radar ZSU 23/4
de 23mm et de quarante-deux points dappui- étaient
très puissantes. Par ailleurs, les avions dattaque
français pouvaient se heurter à une éventuelle
patrouille en alerte de Mirage F1 ou de Mig 23 libyens. Le radar
de surveillance lointaine "Flat Face" de Ouadi-Doum
et les radars dacquisition "Straight
Flush" des SA-6 étaient
prêts à fouiller lespace aérien afin
dy découvrir un éventuel assaillant.
Les informations
les plus récentes concernant lobjectif furent apportées
de Paris par le lieutenant-colonel Bernard G., du 2ème
bureau de létat-major de larmée de
lair. Elles révélaient que les terrains dAouzou
-à 400km au nord-ouest- et de Maatan-Sahra -à 300km
au nord- débordaient dactivité.
Ladjoint
tactique du COMELEF, le lieutenant-colonel Jean-Marie P., qui
fêtera ses quarante-quatre ans le lendemain -7 janvier-
réunit tous les commandants de détachement : le
lieutenant-colonel Dominique C., chef des ravitailleurs, le commandant
Jean B., chef des C160 Transall -dont une citerne volante-, le
commandant Pierre R., chef du détachement de la 12ème
escadre, le commandant
André C., commandant de lEC 1/11, qui a déjà
participé à la mission du 16 février 1986,
le commandant Yvon
G., commandant de lER 1/33,
le commandant Thierry L., chef du détachement et commandant
en second de lEC 3/3, et le lieutenant de vaisseau C.,
chef du détachement du Bréguet Atlantic de la Marine
nationale.
Il
est 17h30, ce 6 janvier. Le soleil est déjà bas
sur la fabrique de bière "Gala", qui ne fonctionne
plus depuis longtemps. Le colonel Yves J. et le colonel Jean-Claude
M., son adjoint, achèvent linspection de la base
et considèrent dun regard inquiet les vingt-six
avions de combat "entassés" sur la plate-forme
pour les besoins de la mission. La réfection de la piste
et des parkings, entamée quelques mois auparavant, se
termine. Le génie de lair a fait des merveilles.
Le conseil de base quotidien a été annulé
afin de permettre la préparation de lopération.
Dans
les trois grands hangars qui abritent les détachements,
la tension monte, les esprits séchauffent. On parle
de la mission avortée du matin, et notamment du décollage
des Jaguar de Bangui. Impressionnant ! Pourvus de deux réservoirs
auxiliaires de carburant de une tonne chacun, de systèmes
de contre-mesures et dun missile AS 37 sous le ventre,
le Jaguar atteint sa masse maximale autorisée au décollage.
Les mécaniciens en sont béats dadmiration.
Qui va encore critiquer le Jaguar après pareille performance
! On parle, on parle, sentant bien que quelque chose se prépare.
Le
capitaine Pierre G., officier mécanicien du détachement
de la 33ème escadre, est en grande discussion avec ladjudant-chef
F., chef de piste, et ses collègues des 3ème
et 11ème escadres. Personne ne connaissant encore les
caractéristiques de la mission ordonnée par Paris,
on envisage toutes les possibilités. Installera-t-on sur
les avions des BAP 100 (bombes anti-piste qui avaient été
utilisées 11 mois plus tôt), des BAT 120 (bombes
dappui tactique de 120mm), des bombes de 250kg freinées,
des roquettes de 68mm ?
Les mécaniciens
de la 12ème escadre se montrent plus sereins. En effet,
les huit Mirage
F1 C du détachement ont déjà été
armés de missiles air-air Matra Super 530F et Matra Magic 550
(configuration classique des escadrons de la "Défense
aérienne")
La
quarantaine de pilotes de combat attend patiemment, qui allongé
dans un transat, qui soccupant à un concours de
fléchettes. Un poste radio à transistor posé
sur le rebord dune fenêtre diffuse les informations
de la station des troupes gouvernementales. Fameux guerriers,
ces Goranes, ethnie qui forme les troupes délite
dHissène Habré. Ils ont attaqué des
chars T55 libyens avec des Toyota armées de mitrailleuses
de 12,7mm et des AML-90 de fabrication française, et provoqué
une véritable débâcle parmi les troupes de
Goukouni Oueddei et de Kadhafi.
Les bombardements
incessants des SU
22 et des Mig 23 libyens nont pas entamé leur ardeur.
Ils gagnent toujours du terrain, mais au prix de pertes telles
que nos équipages du COTAM ont dû intervenir pour
évacuer leurs blessés et que nos convoyeuses de
lair et nos chirurgiens interarmées ont déployé
de nombreux efforts pour les remettre en état de combattre.
Il
est 18h45. La porte souvre sur la réunion qui vient
de prendre fin. Les hommes ont les traits tirés, chaque
responsable rassemble les pilotes quil a choisis comme
équipiers pour la préparation et le tracé
de la mission. Le commandant Thierry L., le commandant Yvon G,
le commandant Pierre R. et le lieutenant-colonel Dominique C.
mettent au point les phases de ravitaillement et les consignes
de sécurité y afférant. Le tracé
terminé, chacun "briefe" ses équipiers.
Le commandant André C. et les pilotes de lEC 1/11
quittent la salle en compagnie de ceux qui ne participeront pas
à la mission du lendemain, tous très déçus.
Les
six pilotes de Mirage
F1 CR de lER 1/33 et de Jaguar de lEC 3/3
sisolent quelques instants. Ils en ont besoin. Est-ce la
peur ou simplement lappréhension ? Chacun mesure
les risques. Les contre-mesures seront efficaces, ils le savent
bien, mais que feront les intercepteurs ennemis ? Auront-ils
affaire à des Libyens ou à des mercenaires bien
entraînés ? Tout cela se déroule à
une vitesse folle dans lesprit de chacun.
On plaisante,
pour se détendre, avec les huit gars de la 12ème
escadre chargés de la protection des quatre ravitailleurs
et de lAtlantic, PC volant à bord duquel se trouvera
le chef de la mission, le lieutenant-colonel Jean-Marie P., COMTAC
(adjoint tactique) du COMELEF.
On
est prêt
19h30 : tout le monde se retrouve au mess
pour un des moments privilégiés de la journée.
Lordinaire est toujours excellent, nos cuisiniers se surpassent.
22
heures. Le lieutenant Claude D., surnommé le "Libyen"
par ses camarades, est fatigué, mais il ne parvient pas
à trouver le sommeil, comme dailleurs la plupart
de ceux qui prendront part à lopération,
demain. Son teint basané, quil doit à deux
séjours précédents au Tchad, est accentué
par une moustache sombre taillée à la gauloise.
Le lieutenant Alain H., qui partage sa chambre, lui prodigue
quelques recettes de grand-mère pour dormir. Le médecin
du personnel navigant leur donnera à chacun une médication
appropriée.
Derniers
préparatifs
Mardi 7
janvier. Réveil à 6 heures. Après un petit
déjeuner copieux, tout le monde se retrouve en salle dopérations
pour se remettre en tête la mission et les nombreux mots codés qui sy rapportent. Le
décollage du PC volant, lAtlantic de la Marine, est prévu à 9 heures.
Léquipage de lAéronavale fait route
vers la fameuse "ligne rouge" afin découter
le radar libyen de Faya-Largeau. Celui-ci fonctionne par intermittence,
probablement pour surveiller lAtlantic quil a détecté.
Le chef de la mission, à bord, pense que le moment est
venu. Il doit donner lordre de décollage à
lensemble du dispositif en transmettant, sous forme codée,
lheure "H" de la frappe.
Cette heure "H",
reçu en salle dOPS du camp dAli Kosseï
de NDjamena, où stationnent les troupes françaises,
est aussitôt répercutée vers Libreville et
Bangui doù les ravitailleurs ouvriront le bal. Ce
coup-ci doit être le bon pour Jean-Marie P., le jour de
son anniversaire !
Les
pilotes enfilent leurs pantalons anti-G et leurs holsters contenant
une arme de poing. Il leur reste pourtant une heure avant de
prendre place à bord de leurs appareils. Mais ils veulent
se conditionner, se concentrer sur les différentes phases
de vol.
11
heures : les deux pilotes de la 33ème escadre sont les premiers à se diriger
vers la piste et leurs avions (Yvon
le 620 et Claude le 632). Il fait
déjà très chaud, de lordre de 35°C
à lombre ! Les camarades de la 3ème escadre
nauront pas trop des 2800 m de piste pour arracher leurs Jaguar,
armés de Martel, du tarmac. Les quatre ravitailleurs C135
F doivent être déjà en route vers les points
de rendez-vous. Ceux-ci sont prévus à Ati pour
les deux F1 CR, à louest dAbéché
pour les quatre Jaguar de lEC 3/3 et en route pour les
huit Mirage F1 C-200 (6) qui protégeront,
par paire, les avions "lourds", en deçà
de la ligne rouge.
A
midi, chaque patrouille est en vue de son ravitailleur. Tout
se déroule comme prévu. Les derniers litres de
carburant sont difficiles à ingurgiter du fait de la traînée
importante des avions. Les pleins achevés, la patrouille
des deux Mirage F1 CR entame une descente par paliers, au cap
nord, afin de passer sous la couverture radar de Faya-Largeau.
Les pilotes de
"lArdennes", quant à eux, escortent leur
Boeing jusquà un point convenu au briefing, qui
leur sera indiqué par un signal sonore et leur permettra
de recaler leur calculateur de navigation. A 160 nautiques au
sud de lobjectif, la patrouille des quatre Jaguar se sépare
en deux groupes espacés de trois minutes et commence la
descente au cap dattaque.
(6) : Jai appris,
beaucoup plus tard, que le COMELEF avait "gardé"
4 F1C à NDjaména.