AINSI NAQUIT LA LÉGENDE
Il y a aujourd’hui même 80 ans, le 15 Juillet 1944, le Groupe de Chasse N°3 « Normandie » quittait Doubrovka pour Mikountani.
Comme à chaque fois qu’ils se déplaçaient pour coller au front, les pilotes dont le YAK 9 étaient équipés d’une trappe donnant accès à un espace réduit y emmenaient leur mécanicien. Mais c’était si exigu que ceux-ci ne pouvaient pas se munir d’un parachute.
Le capitaine Maurice de Seynes embarqua ainsi son fidèle ami Vladimir Bielozub.
Après quelques minutes de vol, une fuite d’essence se déclara, aveuglant le pilote et l’incommodant.
Il revint vers le terrain de départ et tenta a plusieurs reprises d’atterrir.
Tous à la radio lui intimèrent l’ordre de sauter. Mais Bielozub ne le pouvait pas donc de Seynes refusa d’abandonner son ami.
Il continua de tenter d’atterrir jusqu’au crash fatal à tous les deux.
Ils furent enterrés côte à côte et la presse soviétique raconta cette action.
Les fransousky du Normandie qui deviendraient 3 mois plus tard Normandie Niemen avaient déjà une cote d’amour dans le public.
Mais ce jour-là, la légende était née.
Et là-bas, on la raconte toujours dans toutes les écoles comme un des évènements importants de la Grande Guerre Patriotique.
La très dynamique Escadrille Air Jeunesse de la base aérienne 115 « Maurice de Seynes » a été très sensible à l’histoire du parrain de la base.
Deux de ses équipiers y furent particulièrement sensibles et rédigèrent ce conte bouleversant que voici:
La rencontre
Partie 1
La cérémonie
“N’espère rien de l’homme s’il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité”
Antoine de Saint Exupéry, Citadelle
8 mai 2023, quelque part en France.
En ce début de mois de Mai, la fraicheur matinale se faisait encore ressentir.
Le soleil commençait doucement à envahir l’atmosphère, et ses rayons, par ailleurs bien
appréciés des quelques matinaux déjà arrivés, redonnaient leur éclat aux drapeaux tricolores disposés tout autour de la place du village. Petit à petit, des petits groupes hétérogènes affluaient sur la place. Là une famille, ici un groupe d’amis, là-bas des personnes âgées, plus loin encore on devinait un groupe d’enfants conduits par leurs enseignants… Des sourires s’échangeaient et des rires joyeux se faisaient
entendre. Le plaisir de se retrouver était palpable. On supposait des retrouvailles attendues. On pouvait aussi voir des enfants courir et jouer gaiement sur l’esplanade. Progressivement une foule compacte et bruyante s’était formée, à laquelle étaient venus s’ajouter des badauds mus par une certaine curiosité.
Au sein de ce rassemblement hétéroclite, un gaillard naviguait entre les différentes délégations présentes. Béret vert solidement vissé sur la tête, pas assuré, il se dégageait de lui une autorité naturelle imposant un certain respect, renforcé par la double rangée de médailles fièrement accrochées sur sa poitrine. Ce n’était sûrement pas par hasard si on lui avait confié la charge de maître de cérémonie ! Il
échangeait quelques mots avec chacun, rappelait les modalités de la cérémonie, puis indiquait à chaque responsable de délégation l’emplacement attribué. On sentait qu’une certaine organisation se mettait en place. Les musiciens et les porte-drapeaux se positionnèrent de part et d’autre du monument aux morts. Les anciens combattants se placèrent à la perpendiculaire des porte-drapeaux. Face à eux, le
peloton de fusiliers commandos de la base aérienne voisine déjà en place, fut rallié par les sapeurs-pompiers.
Entre les militaires en armes et les soldats du feu, se distinguait une petite délégation singulière constituée d’une demi-douzaine de jeunes vêtus d’une combinaison de vol bleu et couverts d’un calot.
Enfin, les officiels vinrent fermer le carré en se positionnant face au monument aux morts.
La cérémonie débuta et se déroula selon le protocole habituel…
Aux ordres du maître de cérémonie, les baguettes du tambour amorcèrent le roulement si significatif de la sonnerie « Aux Morts », bientôt rejoint par le son crescendo du clairon. Un silence solennel planait sur l’assemblée, qui, dans ce moment de recueillement, semblait effacer toutes les individualités pour ne constituer qu’un seul bloc uni. Seul se faisait entendre le drapeau claquer contre la hampe. Le
soleil, maintenant bien haut dans le ciel, tapait sur les têtes.
C’est la troisième commémoration à laquelle participait Maurice. Chaque fois la même fierté, celle de représenter et de prendre part. La même émotion, à la pensée du sacrifice et des actes de bravoure de ces soldats, de l’héritage que cela représente. Mais aussi la même appréhension, celle de ne pas réagir au bon moment, ou de commettre une erreur (voire même de s’évanouir ! les cadres leur
rappelant régulièrement le risque de perdre connaissance lors de ce type de cérémonie…, même si lui ne l’a jamais constaté de ses propres yeux !
Cette fois-ci pourtant, c’était différent. Un sentiment particulier l’habitait. Il ressentait peser sur lui comme une attention insistante. Une sensation persistante créant une présence presque palpable.
Discrètement, il scruta l’assemblée à la recherche de la source de cette drôle d’impression. Et soudain, il croisa les yeux d’un homme. Placé au second rang, il était en partie masqué par la foule, mais se distinguait par son regard, fixe et perçant, qui les dévisageait d’un air dubitatif, lui et ses camarades. Cela, Maurice le ressentait particulièrement.
Une fois la cérémonie terminée, la foule commença à se disperser et les gens à discuter. Maurice perdit l’homme de vue. Intrigué, il décida aussitôt de se mettre à sa recherche. Après plusieurs minutes à déambuler sans résultat, il se dit que, finalement, ce devait être le fruit de son imagination. C’est alors qu’il l’aperçut : un homme d’une trentaine d’année, grand et svelte, avec une petite moustache, coiffé
d’une coupe à la mode des années 1930, et vêtu d’un grand blouson en cuir marron.
L’équipier arriva à la hauteur de l’homme et l’interpella :
– “Eh monsieur ! Monsieur ! Attendez !”
L’homme surpris par cette soudaine interpellation, s’arrêta et se retourna en levant un sourcil interrogateur.
– “Oui garçon ?
– Bonjour monsieur, excusez-moi, mais j’ai pu remarquer que vous nous regardiez avec insistance, moi et mes coéquipiers, durant la cérémonie. Est-ce que je peux vous demander pourquoi ?
– Bonjour jeune homme. En effet, votre présence ici me laisse interrogatif. Qui êtes-vous ?
– Nous représentons l’Escadrille Air Jeunesse de la base aérienne près d’ici.
– Escadrille Air Jeunesse ?! Mais qu’est-ce que c’est ?
– C’est l’Armée de l’Air et de l’Espace qui rassemble des jeunes comme moi autour d’un thème commun qui nous passionne : l’Aéronautique.
– Ah oui, et que faites-vous exactement ?
– Eh bien, nous nous réunissons pour en apprendre plus sur l’Armée de l’Air et de l’Espace : ses valeurs et son histoire, mais également ses différents rôles et objectifs. Nous rencontrons le personnel de la base à laquelle nous sommes affiliés, tels que des pilotes, des mécaniciens, des pompiers de l’air ou bien encore des commandos parachutistes ! Mais nous faisons également du sport, avec par exemple de la course d’orientation, le parcours du combattant, ou encore des sports d’équipe pour développer l’esprit de cohésion et le dépassement de soi. C’est vraiment génial !
– Eh bien dis donc, vos activités m’ont l’air d’être riches et variées ! répondit-il avec un sourire. Vous en avez de la chance. De mon temps, il n’y avait pas tout ça. Je me souviens, quand j’ai intégré dans l’armée pour devenir pilote, on ne tardait pas pour nous mettre directement le manche entre les mains !
– Vous êtes pilote dans l’armée ? s’exclama avec admiration le garçon.
– Oui… ou plus précisément je l’étais, rétorqua l’homme.
– Ah bon ? répondit Maurice étonné. Mais pourquoi ?
Ne plus être pilote, quand on a cette chance et qu’on est dans la force de l’âge lui semblait inconcevable.
– Oh… eh bien, disons que c’est le sort qui a décidé pour moi.
– Comment ça ?’’ enchaîna le garçon avide d’en savoir plus.
L’homme ne répondit pas tout de suite. Il prit un air songeur, regarda le ciel nuageux, puis les feuilles bruisser dans les micocouliers et, après quelques instants d’hésitation, débuta son récit :
– “Eh bien, c’était lors d’un déploiement à l’Est. A ce moment-là, nous manquions terriblement de pilotes. Nous devions donc changer fréquemment de base pour réaliser les différentes missions.
Ainsi, c’était un déplacement plutôt banal. Cependant, peu après le décollage, il est apparu que le carburateur était percé. L’essence fuyait alors du moteur et envahissait la cabine pour venir se coller sur nos lunettes. On n’y voyait plus rien ! Impossible de voir où nous allions ! Et puis soudain, un incendie s’est déclaré. Une fumée noire et ardente, à l’odeur âcre, se dégageait du capot. Nous
ne pouvions faire autrement que de la respirer. Elle nous brûlait la gorge et les poumons. La chaleur des flammes était insupportable. J’ai reçu plusieurs fois l’ordre de sauter en parachute. Cependant, mon mécanicien qui était à bord avec moi n’en avait pas. Je ne pouvais me résoudre à l’abandonner. J’ai donc refusé de quitter le bord. L’avion devenait incontrôlable. J’ai malgré tout tenté de poser l’appareil, même si cela nous semblait impossible. Après plusieurs tentatives infructueuses, j’ai réussi à nous faire atterrir dans un champ, non loin de la piste, mais l’appareil n’était plus en état de voler.
– Ouah… C’était courageux ! dit Maurice, dans un enthousiasme spontané qui reflétait son excitation et son admiration. Votre mécanicien a dû vous en être reconnaissant !
– Hélas non ! Mon mécanicien n’a pas survécu à notre crash. Mais je ne m’en suis pas sorti indemne non plus.
– Ah mince, je suis sincèrement désolé…
– Merci p’tit, mais faut pas. Ça fait partie des risques et on le savait. Ce jour-là, j’ai vraiment essayé de nous sauver, mais ça n’a malheureusement pas été suffisant. C’est du passé désormais. Le plus important est que j’ai tenté de sauver la vie de mon camarade. L’abandon d’un camarade est inenvisageable ! Retiens bien ça p’tit ! Lors d’une mission, aussi anodine soit-elle, le plus important
est la sauvegarde de la vie des membres de ton équipe, ne jamais laisser personne derrière. Je ne regrette pas ce que j’ai fait, même si ça s’est révélé vain. La cohésion et la fraternité sont ce qu’il y a de plus important.
– Je comprends monsieur” répondit Maurice avec détermination en le regardant admirativement dans les yeux.
Le regard de l’homme se fit alors plus doux et il lui dit avec bienveillance :
– “Ça me fait plaisir de voir que vous, les jeunes des nouvelles générations, êtes autant investis. Cela me prouve que les combats que nous menons ont un sens et que vous les poursuivrez. J’espère que tu continueras et que tu me rendras fier, gamin !’’
Maurice était intrigué par ce personnage envers qui, pour une raison qu’il ignorait, il éprouvait une grande confiance. Il ne voulait pas le décevoir et ses paroles le rendaient fier. Ainsi, flatté, il le remercia en lui expliquant qu’il souhaitait, lui aussi, devenir pilote. L’homme lui adressa un sourire confiant, puis content d’avoir satisfait sa curiosité, dit au jeune garçon :
– “Eh bien je te souhaite de réussir, et d’aller loin dans ton projet !’’
Il regarda sa vieille montre à son poignet, dont le bracelet montrait quelques traces de brûlures, et rajouta :
– “Je dois te laisser à présent, j’ai à faire !”
Sur ces mots, l’homme se retourna et entama son départ.
Cependant, comme dans un ultime appel, Maurice le rappela et lui dit :
– “ Attendez ! Vous ne m’avez pas dit votre nom !”
Un sourire malin apparut sur le visage de l’homme et, comme s’il se libérait d’un poids gardé depuis bien longtemps, il dit :
– “Je m’appelle Maurice, Maurice de Seynes’’.
Avant que le garçon n’ait le temps de dire quoi que ce soit, le capitaine de Seynes disparut dans la foule et, malgré les tentatives de l’équipier de retrouver l’aviateur, ce dernier s’était bel et bien volatilisé.
Alors qu’il se demandait s’il n’avait pas rêvé, il sentit une main sur son épaule et vit une de ses amies de l’EAJ qui était venue l’extraire de ses pensées.
Dans les premiers instants, il voyait bien qu’elle lui parlait, mais n’arrivait pas à comprendre. Il était encore tout interloqué par ce qu’il venait d’apprendre. Au fur et à mesure qu’il recouvrait ses esprits, il se rendit compte qu’il était allongé à l’ombre d’un arbre à l’écart de la foule désormais éparse.
Il interpella son amie pour savoir ce qu’il s‘était passé, ce à quoi elle répondit :
– “Eh bien, pendant la minute de silence, tu t’es évanoui à cause de la chaleur. Franchement, tu aurais dû voir ta chute ! Tu as fait un plat comme on en fait à la piscine !”
Comme il se faisait tard, les deux équipiers rejoignirent leurs cadres. Maurice, quant à lui, supposa que sa rencontre n’était que le fruit de son insolation.…
Partie 2
Ad Astra
“Il faut toujours connaitre les limites du possible. Pas pour s’arrêter mais pour tenter l’impossible dans les
meilleures conditions”
Romain Gary, Charge d’âme
Bien des années plus tard, quelque part dans l’Espace.
Au milieu de l’espace, immensité sombre et sans vie, règne le silence. Cependant, il n’est qu’apparent puisqu’il n’est pas le témoin d’un stoïcisme sidéral, mais au contraire, d’une activité stellaire intense. Parmi ces milliards d’astres, l’univers entier semble tourné vers un petit groupe de météorites se déplaçant à l’image d’un banc de requins en quête de proies. Ces derniers se dirigent vers notre astre
Sélénite qui, reflétant la lumière solaire, se dresse tel un phare dans la nuit sombre et éternelle.
Gravitant lentement autour de notre lune, on peut déceler la Station Spatiale Internationale “Nostromo’’. Porteuse d’espoir pour l’avenir, sont présents à bord les meilleurs spationautes et, parmi eux, Maurice.
Bien des choses se sont passées depuis cette “rencontre” qui est restée gravée dans sa mémoire.
Quand bien même il sait que cela n’est que le fruit de son imagination, cette leçon, qui l’a inspiré tout au long de sa carrière, a fini par devenir sa devise et l’a conduit à être aujourd’hui le commandant du Nostromo.
Divaguant dans ses pensées, il se rend dans le laboratoire européen, quand soudain, il entend l’alarme résonner dans toute la station. Il se dépêche d’aller jusqu’à la salle de contrôle et découvre avec horreur que le banc d’astéroïdes, évité quelques heures auparavant, masquait en réalité, dans son sillage, un autre groupe de météorites plus petites qui se dirige à vive allure dans leur direction. Un des projectiles
était entré en collision avec la station, provoquant une microfissure dans la paroi. Mais ce n’est malheureusement pas le pire : la partie la plus importante de cette pluie de météorites allait croiser la trajectoire de la station d’ici quelques minutes ! Tenter une manœuvre d’évitement avant la collision est impossible, pense Maurice. La station est condamnée !
Il entame les protocoles d’évacuation et part à la recherche de sa collègue, car par chance, ne s’agissant que d’une mission de transit, ils sont les seuls à bord de la station.
En parcourant les différents modules, il entend un cri de détresse. Il se dirige dans sa direction. Il est alors horrifié lorsqu’il voit Nora coincée de l’autre côté du sas qui, du fait des procédures automatiques de secours, s’était fermée !
Maurice prend un instant pour réfléchir : malgré la fermeture des sas pour limiter la perte d’oxygène, la quantité fuitée dans l’espace est trop importante. Ils manqueront bientôt d’air et il le sait. Il lui faut donc quitter la station au plus vite mais ne peux se résoudre à abandonner son amie derrière lui.
Dans un sang-froid imperturbable, il entreprend de déverrouiller la porte. Une fois de l’autre côté, il prend son amie et se propulse grâce aux parois en direction des modules d’évacuation. Quand il y arrive, il constate avec effroi qu’une des deux navettes est inutilisable du fait d’une fuite de carburant, et que celle restante ne peut accueillir qu’une seule personne. Il se rend à l’évidence qu’un seul d’entre eux peut être sauvé…
Un froid mordant se répand dans la station, commençant peu à peu à le gagner et le paralysant lentement. Il observe, par le hublot, la navette qui s’éloigne de plus en plus, le laissant seul dans la station, au milieu du vide intersidéral. Il est néanmoins satisfait et fier que son amie soit hors de danger : sa navette l’a emmenée suffisamment loin pour la prévenir de toute collision avec les météorites. Sa vue
s’obscurcit, la fatigue se fait lourde et l’envie de s’endormir l’envahit doucement. Il repense à ses actes, sa vie passée à aider et à ses choix qui l’ont conduit à cet instant.
Alors qu’il ferme les yeux et s’abandonne au froid, il entend des mots, des paroles venant d’une voix familière, qui résonne en lui tel un écho venant du passé qui lui dit :
– Je suis fier de toi, gamin !
Fin !
Cette fiction nous a été inspirée par l’histoire tragique du Capitaine Maurice de Seynes mort avec son mécanicien le 12 février 1944.
Il a donné son nom à la Base Aérienne 115 d’Orange-Caritat.
Ysaline AUVÉ et Matteo DUMANET, Équipiers EAJ de la BA.115.
Le 5 Juin 2024, l’escadrille Air Jeunesse recevait le Général JOB.